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Julia

Dessin créé (et publié) à l'origine pour le fanzine Freaks pulsion des Éditions Terriennes.

Julia est un projet de bande dessinée librement inspiré de l'histoire vraie de Julia Pastrana, la "femme singe" (› wikipedia) qui vécut entre 1834 (Mexique) et 1860 (Moscou). D'après certains rapports, Theodore Lent aurait trouvé dans une grotte, en compagnie de sa mère, un enfant souffrant d'hypertrichose universelle congénitale terminale (CGHT), et l'aurait acheté à sa mère dans le but de l'exhiber en public. Par la suite, Julia put apprendre à chanter, à danser et à s'exprimer dans trois langues, à l'écrit et à l'oral. Au cours d'une tournée à Moscou, elle donna naissance le 20 mars 1860 à un garçon, atteint, lui aussi, d'hypertrichose, qui mourut peu après la naissance. Julia Pastrana ne lui survécut que de quelques jours.

Julia parle donc de femme à barbe évidemment mais aussi de survivance, de la vie d'une troupe de spectacle pas comme les autres, de féminisme avant l'heure, de voyage et d'aventures...

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Extrait:

Depuis quelques temps, je voyais bien que ça ne tournait pas rond chez tous ces dégénérés... Le nabot me regardait de travers, les p'tites têtes n'osaient quant à elles plus croiser mon regard. Déjà avant de toute façon on ne savait jamais où elles regardaient, avec leurs têtes minuscules et leurs yeux fuyants. Théodore n'était pas au camp. Giant Bob restait muet, comme d'habitude, acquiesçant juste de la tête ou sortant des "bof, tu peux pas dire ça...". Les double-head se regardaient, comme dans un miroir déformant.
Voyant bien que je ne pourrais rien tirer d'eux au dîner, je m'envoyai un dernier verre de vodka, m'essuyai la barbe, et décidai d'attendre que tout ce petit monde regagna ses appartements pour leur tirer les vers du nez, pensant que, les yeux dans les yeux, ils se laisseraient aller à la confession. C'est ainsi que je sortis de la tente tiède pour affronter le blizzard russe, direction: les sœurs-siamoises.

Les "jumelles", fidèles à elles-mêmes, se contredisaient au point de s'injurier l'une l'autre comme des poissons pourris:
- tu dis n'importe quoi !! lança Zabella
- de toute façon, on peut jamais discuter avec toi ! renchérit Divine
- et toi, 'faut toujours que tu la ramènes !!...
- du calme les filles, je veux juste comprendre ce qui se trame derrière mon dos ! dis-je d'une voix douce et rassurante en me caressant la barbe inconsciemment.
- il ne se trame rien, sinon je te le dirais
- oui, moi aussi je te le dirais !
- ouais... pff... tu parles !
- si je lui dirais !
- ouais c'est ça tu...
Je les laissai se crêper le chignon dans leur roulotte puant le parfum bon marché et les clopes de pétasses. Seule Divine fumait, ce que lui reprochait constamment Zabella: "tu vas finir par nous tuer toutes les deux !". Sujet de discorde habituel, en plus de la nourriture trop salée, trop ceci ou pas assez cela... Bref, en fermant la porte, je les entendais encore se chamailler: narcissiques au plus haut point, elles m'avaient déjà complètement oubliée.

Mes pieds s'enfonçaient dans la neige avec ce bruit de feutre si doux au oreilles, mais si froid au toucher ! Dieu qu'il faisait froid... Que dis-je ? On se gelait les miches ouais !! Autour de moi, tout était blanc, hormis les tâches noires orangées des tentes et roulottes des compagnons de la troupe: tout le monde devait être autour du feu, à se réchauffer, ou à cuver le vin du dîner. Ce dîner mémorable ou personne ne disait mot. Silence morbide. C'est sûr, quelque chose ne tourne pas rond !

J'en vins même à demander à cette pourriture de Nakunoeil... Je ne l'avais jamais senti celui-là: avec son gros œil protubérant comme un abcès prêt à éclater, il m'a toujours fait flipper. Allez... J'entre ! Bon dieu ! Qu'est-ce que ça pue là-dedans ! C'est vraiment immonde !
- Pourquoi personne ne me dit rien ? le questionnai-je en me retenant de respirer le plus possible...
- sans doute parce qu'il n'y a rien à dire ! Humpf... répondit-il entre deux bouchées d'une espèce de sandwich dégoulinant. Écoute Julia, pas la peine de te mettre en rogne, tu t'inventes des histoires ! Personne ne te veux de mal... Arrête un peu de délirer...
C'est à se moment-là que la petite a commencé à chouiner... Merde. De plus en plus fort. À un tel point que je n'entendais plus ce que disait Nakunoeil, comme s'il était soudainement devenu muet. Il était peut-être en train de me révéler qui voulait me prendre la petite ou nous vendre ou je ne sais quoi... Aussi, je décidai de lui enfourner mon sein dans la bouche pour entendre le fin mot de l'histoire. Je restais pendue au lèvres de cet immondice quand enfin le silence se fut: "...u sais très bien que personne ici ne ferait une chose pareille...".
- Hein ?… ne ferait quoi ? Dis-moi !
- laisse tomber Julia ! dit-il d'un ton sec, visiblement énervé par les hurlements de mon fils ou par mon insistance bornée. Allez ! Laisse-moi tranquille ! dit-il en se levant. J'ai une hypnose ce soir ! s'exclama-t-il, suant encore plus qu'à son habitude.
- Je... euh... très bien... j'y vais...
Du haut de mon mètre trente-quatre, je me fis encore plus petite, et, acquiesçant de la tête, sortis de sa caravane, un sein à l'air, ce qui n'avait pas semblé l'émouvoir le moins du monde...

Purée... des nuages de vapeur s'échappaient de mes grosses lèvres. En quelques secondes, j'étais gelée. Moscou. Ce connard de Theodore, il va m'entendre ! Quelle idée de venir ici en plein hiver ! Maintenant, on était bloqué par des tonnes de neige glacée... Aïe !! Mais, qu'est-ce que... Mon fils, avait dû sentir les morsures du froid et me mordait le sein. Allez ! On remballe tout ! C'est alors que la nuit s'obscurcit: un nuage transforma cette nuit en ténèbres. Ce nuage avait un nom: Giant Bob. Et quand je levai les yeux vers lui, tenant encore mon sein d'une main et mon fils de l'autre, sa silhouette dessinait une montagne infranchissable.
- qu'est-ce que tu fais là ma petite crevette ? Reste pas dans l'froid ! me lança-t-il.
Giant Bob avait un faible pour moi, malgré mon surnom de "femme la plus laide du monde", je n'en restais pas moins une femme. De son coté, il faisait peur à tout le monde, et aucune fille normalement constituée ne s'aventurait à se frotter à lui: même les putes flippaient de se faire enfiler. Bob, il était un peu comme mon double, mon anti-thèse: moi la naine d'1m34 et lui le géant de 2m73, plus du double de ma taille. Et sous le pantalon, c'était pareil ! Le double d'un homme normal ! Malgré cela, j'avais réussi à lui faire une gâterie une fois, car j'ai une énorme bouche. Hé ouais ! N'est pas la femme singe qui veut !
- Alors, tu fais quoi ? répéta-t-il
- euh... rien, je... j'allais à ma tente, répondis-je en reboutonnant mon chemisier, l'air de rien. La protubérance dans le pantalon de Giant Bob en disait long sur son état d'excitation, mais je n'avais pas vraiment envie de remettre le couvert comme on dit.
- tu veux pas venir faire un tour dans la mienne plutôt ? Allez, comme aux bons vieux temps, on se réchauffera mutuellement, dit-il en me rapprochant de sa jambe avec son énorme main.
- je... je ne peux pas, avec la petite... et puis, j'ai pas la tête à ça... il se trame quelque chose ici… n'est-ce pas ?
- de quoi tu veux parler ?
- justement, j'en sais fichtre rien ! Mais je le sens ! Les regards sont fuyants. On chuchote dans mon dos ! Je ne suis pas comme ces attardées de p'tites têtes !... Mais, qu'est-ce que tu fais ? m'écriai-je quand il me prit par la taille pour m'amener au niveau de sa tête.
- Julia... je... murmura-t-il, louchant sur ma poitrine gonflée par l'allaitement. Puis il sortit sa langue énorme et l'enfourna dans mon corset, enlaçant mes seins, l'un après l'autre. À cette hauteur, il était hors de question que je lâche mon bébé pour repousser les avances de cet énergumène baveux. Aussi je restai bouche bée un temps qui me parut une éternité. Tétanisée. Et je dois bien avouer qu'à un moment sa langue brûlante et gluante m'excita, mais en même temps ça me faisait mal, et je pus enfin baragouiner en m'étranglant "je… arrête putain !... J'ai pas la tête à ça je t'ai dit !" Giant Bob ravala alors sa langue en me reposant sur la neige. Le contraste de température me saisit et je serrai mon petit contre ma poitrine fumante, alors que mes pieds gelaient sur place.
- Je... je vais me coucher ! Bonne nuit Bob !
- mais... attends ! On pourrait au moins...
- non !

Purée ! Quel pervers celui-là ! Bon... Qui pourrait cracher le morceau ?? Je ne suis pas folle quand même ! Je suis sûre qu'il se trame quelque chose ! Voyons voir... Ah oui ! Quatzieu me dira sûrement ce qu'il sait !
C'est ainsi que je traversai notre camp. Les rares fois où je ne maudissais pas mes poils, c'était exactement par une météo glaciale comme cette nuit.

Dans notre yourte, il faisait presque tiède ! Tout le monde n'était pas logés à la même enseigne: Théodore et les anciens avaient des caravanes et des roulottes bien isolées. Nous, on se les gelait. Quatzieu était recroquevillé , les mains devant le poêle. Je poussai un grand soupir: il se retourna et lança:
- ah ! Salut Ju' ! Je... je vois que t'as eu une montée de lait ? dit-il en voyant ma poitrine fumante.
- non, c'est... c'est rien ! Laisse tomber... J'ai entendu dire qu'il se tramait des changements au sein de la troupe ?
- tu entends beaucoup de choses, Julia. Hu hu hu... c'est peut-être à cause de tes grandes oreilles ?...
- putain mais c'est pas vrai ! Je croyais que tu étais mon ami... mon compagnon de tente ! On a traversé les mêmes galères ensemble, bordel !
- ok ! calme toi ! je déconnais... Je... euh...
Ses grands yeux, parfois terrifiants quand il faisait son numéro, exprimaient à présent un mélange de désolation et de compassion, accentuée par les reflets brillants du feu au milieu de la yourte. 
- ouais... c'est bon...

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