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Le goût du covid19

Je ne comprends pas trop ce qu'il se passe en ce moment avec les humains : leur sang est devenu trop souvent sans saveurs… Non… En fait, c'est pire : il est carrément… dégueulasse !

Ce n'est pas seulement qu'il soit fade, comme celui de cette fille squelettique qui s'acharnait à suivre une mode débile et rêvait de disparaître sous des vêtements "fashion". Proie facile certes : on leur casse le cou avec le petit doigt. Mais à n'utiliser vraiment qu'en dernier recours.

À l'inverse, de plus en plus d'Américaines, et de Françaises d'ailleurs, sont grasses comme des truies ! Sur la dernière que j'ai testé, il m'a été impossible de trouver les jugulaires, noyées dans un amas de graisse pas du tout naturel… Dans ces cas là, je m'énerve et ça finit en charpie. J'évite donc autant que la peste cette catégorie de proies : elles sont faciles à attraper, c'est vrai, et me font toujours penser aux bagnards qui, chaînes aux pieds, ne peuvent courir guère plus de cinquante ou cent mètres. Rigolo, mais terriblement lassant.

Leur liquide vital est très gras et tâche les vêtements de manière irréversible. On a beau les faire tremper dans de l'eau froide, rien à faire. En plus, il est très acide au palais, un peu comme celui des vieux chats tout secs dont les reins ont lâché : la mort coule déjà dans leur veines et leurs artères…

OK, c'est vrai que pour les chats, il y a des exceptions : les chatons de quelques jours, avant que leurs yeux ne s'ouvrent et que leurs os se calcifient, les femelles gravides et les jeunes Maine coon, car ils ont suffisamment de jus et une bonne vitalité.

On finit tous un jour ou l'autre par devoir y goûter, aux chats. Mais cette espèce, en plus de nous sentir, nous voit sous notre vraie forme, avant de déguerpir comme des balles.

J'ai même déjà bouffé du rat et du clébard, mais la finesse de leur ouïe et de leur odorat nous débusque en un rien de temps : ils se mettent alors à gueuler comme des putois qu'on égorge, avec leur seule manie de vouloir défendre tout et n'importe quoi, même un bout de terrain inhabité, et dont ils ne sont -évidemment- pas propriétaires. Mais la plupart du temps, qui dit chien dit humain prêt à défendre ses chers et tendres objets accumulés. Et ça, ça n'est jamais bon.

Bref, aujourd'hui, je me réjouissais de cet air printanier qui, malgré le raccourcissement des nuits, dénudait les chairs, les cous palpitants, les jambes fémorales et les aisselles odorantes et sous-claviaires. Mais je m'interroge : qu'est-ce qui, en ce moment, rendait leur sang si… euh… c'était pas une histoire d'acidité, ou de persillage, mais… euh… de l'amertume ! Voilà c'est ça ! Avec un peu d'aigreur, c'est exactement ça : depuis quelques semaines, quand je buvais leur sang, ça me faisait une impression de jus de chien écrasé, gonflant au soleil et grouillant d'asticots, sur le bord des routes d'été.

Qu'est-ce qui a changé ? Est-ce cette histoire de virus dont tout le monde parle ? Pffff… décidément les humains sont de petite nature. Pourquoi notre race reste-elle terrée dans les tréfonds ? Nous devrions prendre le contrôle de ce monde. Quoique… avides comme nous sommes, nous aurions bien pu boulotter toutes les réserves de la planète en quelques semaines…

En tous cas, leur sang est plus acide. Ça se sent rien qu'à leur transpiration : ils se chient tous dessus en ce moment. La faute sans doute à toutes ces nouvelles technologies dont les ondes me foutent des migraines à ne pas fermer l'œil de la journée. Sans parler de leur chefs actuels : pour faire bonne figure devant les autres pays, c'est la course à celui qui aura le moins de macchabéés officiels, même s'il faut pour cela trafiquer les chiffres ou mettre en place des confinements bafouants les libertés individuelles basiques.

Ces créatures, qui vivaient déjà enfermées jour et nuit, sont aujourd'hui emprisonnées par la pensée et la peur. Le plus étrange est qu'ils s'affligent cela volontairement, eux-mêmes, comme si ce confinement allait les protéger de quoi que ce soit.

C'est pitoyable : si tu dois mourrir, tu meurs. Si la mort t'embrasse, t'auras beau détourner la tête, son haleine glaciale et fétide réussira à s'insinuer entre tes dents, couler le long de ta langue et envahir tout ton être… Et voilà, c'est fini ! Quand c'est l'heure, c'est l'heure !

Petit à petit, les ruelles sombres et même les parcs ont été désertés. Pas un chat, enfin, façon de parler, car ces touffes de poils, qui habituellement se goinfraient des restes des humains et des restaurants, se sont mis à chasser à nouveau les rats. Beurk, rien que de penser à ces petits être velus et sautillants, ça me dégoûte : à peine quelques gorgées d'un jus de chiottes…

Cet enfermement des consciences et des corps, au fur et à mesure du confinement, avait rendu les sangs bien acides, du fait du stress : mais pas le stress aigu, quand ils comprennent qu'ils vont mourrir, sentant mes crocs s'enfoncer dans leur chair chaude et suintant de sueurs froides, et qui donne au sang juste la pointe d'acidité qu'il faut pour un liquide qui a du pep's.

Non. En ce moment, l'énergie vitale de ces pauvres êtres pourrit sur pied car elle est avariée par un stress chronique : ils puent et ont un goût de peur, lancinante, comme un bruit de fond, qui acidifie les chairs et le sang de manière irréversible.

Pour une fois, les jeunes, habituellement froussards, échappent à cette règle : leur mental n'est pas encore façonné à écouter, respecter, et imaginer le pire. Mais la dernière fois, j'ai testé un petit vieux : inutile perte de temps. Déjà, ils ont très peu de substance disponible, mais en plus, leur sensibilité à la peur chronique, perfusée par les informations mondiales 24H/24, les rendent imbuvables. Autant boire un chat.

Il existait ce que j'ai appelé "le paradoxe du confinement" : d'un coté, les altruistes jouaient les sauveurs, toujours prêts à apporter quelques provisions, ou un rouleau du Saint Graal papier toilette. De l'autre coté, les angoissés du mortel contact surjouaient, persuadés qu'ils engrosseraient très prochainement le nombre des victimes officielles. Comme si, en plus des masques, les japonais nous avaient aussi refilé leurs hikikomoris, ces jeunes qui ne sortent pas de leur chambre pendant des années.

Aspirer de telles proies maniaques du confinement était un jeu d'enfant : même si elles poussaient un cri, les voisins ne mouftaient pas. Au cas où elles seraient infectées. On ne sait jamais. Et on savait bien qu'elles ne voulaient voir personne. Les habitants des villes préféraient être solidaires en étant solitaires, le mot d'ordre étant : pas de contacts ! #tousensemble, #chacunchezsoi ! Ainsi la découverte de la dépouille desséchée, voire momifiée, prenait plusieurs semaines. Ni vu, ni entendu, ni connu.

Pour me repaitre enfin d'une énergie vivante et exquise, je me rabattais donc depuis quelques semaines sur les proies qui sortaient de chez elles comme si de rien n'était, bravant les règles étatiques du confinement dans une désobéissance civile salvatrice.

Certaines allaient bosser, plus ou moins contraintes et forcées : acides. D'autres continuaient de profiter de la vie, flânant par ci par là, rencontrant d'autres congénères, souvent tout aussi décomplexés…

J'avais repéré une jeune femme qui faisait son jogging tous les soirs, en plus de nombreuses autres sorties inutiles : un sang frais, bien oxygéné, qui promettait d'être savoureux, et "bio" pour ainsi dire. Les sportifs, en général, ne se droguent pas. Notez, je ne suis pas contre un petit trip de LSD de temps à autres, mais ne nous voilons pas la face : la plupart des junkies sont des poly-consommateurs. Le tabac me révulse, un peu comme si, sur une boule de sorbet pur sang frais biologique, vous versiez un coulis d'huile de vidange. Quel gâchis !

Nao, très bien conservée malgré sa quarantaine passée, courrait toujours après la nuit tombée. Pratique. Elle habitait une résidence au bord du gave. C'est comme ça qu'ils appellent les rivières dans cette région du sud-ouest de la France. En l'observant plusieurs soirs de suite, j'avais compris qu'elle pratiquait aussi quotidiennement le yoga avant de se coucher, dans un caleçon d'homme fuchsia et un marcel blanc qui, quand elle prenait la position renversée du poirier, dévoilaient des fesses fermes et des petits seins dodus aux larges mamelons…

J'adore ces longs moments de planque, entre voyeurisme et attente d'une deadline ou d'un moment d'inattention pour fondre sur ces petites souris frétillantes. Bien connaître mes repas me délecte : je n'en suis que plus excité à imaginer pendant des jours ou des semaines le goût de leur substance vitale.

Aura-t-elle du sang très rouge, très oxygéné par la course à pieds, et donc plein de vie ? Suave, délicatement sucré par quelques rares excès, avec un poil d'amertume due à son régime quasi-végétarien ? J'imagine que son taux de salinité sera parfait : ni trop, ni trop peu, juste assez pour relever le tout. Avec un peu d'iode issu des algues des soupes de poissons. C'est bon l'iode… c'est rafraîchissant.

Enfin, avec un peu de chance, elle goûtera une légère saveur umami, ce qui est devenu rare, à part chez les asiatiques. Et justement, ses yeux bridés, ses cheveux fins d'un noir profond, ainsi que sa peau particulièrement blanche et finement tatouée m'assurent de sa nation-mère : elle est japonaise, c'est sûr à 100 % !

Quand je me suis réveillé le soir du 6 avril, il faisait encore jour. Merde pensai-je : j'en ai encore pour une heure, voire une heure vingt d'attente. Les rayons du soleil décollent la peau en la séparant des chairs. Une fois que vous avez expérimenté ce "désagrément", vous devenez, au fil des ans, un expert dans les heures de coucher et de lever de cet être infâme qu'est le soleil. L'heure du lièvre ou l'heure du chien n'ont plus aucun mystère pour nous. Enfin, sauf pour les abrutis : il y a des cons partout, hein. Mais ils ne font pas long feu.

Je me suis rongé les ongles en tournant en rond dans ce vieux cimetière. Un cliché, certes, mais comme demeure paisible, il n'y a pas mieux, à part quand des crétins amateurs de spiritisme veulent se faire peur, ou que des putains de nazis viennent empester les brumes de minuit avec leur peintures intolérantes. Il m'arrive de faire peur aux ados, mais je suis sans pitié avec les racistes. Avec des cons pareils, nous ne serons jamais acceptés, ou pire : les plus débiles d'entre eux seraient bien capables de nous cloîtrer et de boire notre sang en espérant créer une nouvel race… d'abrutis finis.

Après une interminable attente, les chants des oiseaux changent : c'est bon, il fait nuit. Il est temps d'y aller. Je suis tellement excité qu'en quelques envolées je me retrouve dans l'arbre surplombant la fenêtre de sa salle de bain. Il fait presque nuit noire. Mes poils et ma peau, couleur écorce, me dissimulent dans le feuillage. Se métamorphoser en chauve-souris est pratique, mais un chat peut toujours vous surprendre. Et puis, autant il y a quelques mois les humains nous protégeaient, autant depuis cette histoire de virus, ils nous redoutent, comme si nous allions bêtement nous emmêler dans leurs cheveux, ou leur sucer le sang. Pffff… C'est pas du tout pratique de sucer du sang quand on est une chauve souris. Ou alors juste pour goûter.

Ma belle plante une baguette dans ses cheveux qu'elle tourne en chignon, découvrant un tatouage de dragon parcourant son corps athlétique et splendide, dansant depuis son cou fin et tendre jusque dans la raie de ses fesses rebondies. Course à pied oblige. Elle saisit un sweat kaki, hésite, ouvre la fenêtre. Merde : je bave. Elle a failli me voir. Elle hume le vent chaud d'Espagne, qui a dû déposer dans la journée du sable saharien lors d'une ondée. Les nuages bas tempèrent les températures en ce jour de printemps humide. Elle n'enfile donc qu'un short léger et un body en coton. Rouge sang.

Quand elle commence à courir, elle sort toujours coté gave, par l'arrière de la résidence, en traversant le jardin aux herbes folles, couvrant ses orteils dodus de pétales de pâquerettes. J'adore… Elle court pieds nus, et elle a bien raison : pourquoi s'encombrer de chaussures inutiles ? Et puis les marques multiplient toujours la technicité et les nouveautés en matière d'amorti, alors que l'amorti naturel, celui du pied dont les orteils touchent le sol avant le talon, est bien meilleur ! Et fusèle les mollets. Que demander de plus ?

Elle s'arrête un instant avant de prendre la route. Elle est exquise… Je suis sûre qu'elle est goûtue… Et ce soir, c'est décidé, je me la fais ! J'ai suffisamment attendu : je connais le moindre de ses recoins anatomiques et psychologiques : elle ne peut absolument pas m'échapper…

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