Back to top

#contact

Quelques semaines après l'explosion de l'épidémie en Chine, les mexicanos ont commencé à parler du "virus du cœur", comme si cette pandémie pouvait avoir éveillé la fraternité des peuples…

Mon cul ! C’est le virus le plus destructeurs du XXIe siècle ! Et même de toute l'histoire de l'humanité !! Les hôpitaux du monde entier dégueulent de contaminés. Mon Dieu. Je me demande encore comment j’ai réussi à fuir de cet hôpital. La vision de tout ces petits vieux projetant au visage des infirmiers ce liquide visqueux et noirâtre, au milieu de tous ces gosses apparemment normaux, reste gravé dans ma mémoire.

J'ai encore passé une nuit blanche et dormi toute la journée. En buvant machinalement mon troisième café, je scrute, à travers les rideaux de mon unique fenêtre de ma chambre, ce théâtre de l'absurde qui se joue devant moi.

Au rez-de-chaussée de cette vieille baraque habite Josiane, la propriétaire, qui pète le feu pour ses 92 ans !
— j’ai fait la guerre moi vous savez, me racontait-elle autour d'un café assorti de carreaux de chocolat au lait. On ne pouvait aller nul part : les allemands étaient partout et nous contrôlaient au moindre mouvement ! Mettre le nez dehors, c'était défier la moooort… disait-elle en exorbitant ses yeux, l'esprit dans le vide. Le délits de faciès, à l'époque, c'était de ressembler à un juif ! Maintenant, c'est les arabes et les noirs qu'on emmerde !
— c'est sûr ! j'avais répondu… Bon, c'est vrai qu'ils sont un peu moins propres que les autres, hein…
— moins propres ? Comment… Mais de quoi vous parlez ?
— eh bien, ils n'utilisent pas de papier hygiénique, alors il ne vaut mieux pas leur serrer la main. Et surtout pas la gauche vous compr…
— et pour manger, me coupa-t-elle dans mon explication sur l'hygiène de base, on devait utiliser des tickets de rationnement, après avoir fait la queue pendant des heures ! Heureusement qu’on cultivait le potager au fond du jardin, sinon on serait mort avec Roger !
— d'ailleurs vous pouvez vous servir dans le potager hein !

Ouais c'est ça pensais-je intérieurement : les chats chient dans ton potager la vieille ! Et je te parle même pas des rats qui doivent pisser sur tes haricots et baver sur tes fraises, la nuit, pendant que tu roupilles ! J'ai pas envie d'attraper la peste !

Ça faisait deux semaines que je ne l'avais pas vue. Et vu l'odeur, Elle séchait probablement dans le four de sa véranda exposée plein sud. L'idée d'aller toquer à sa porte me pétrifiait. À coup sûr, je me ferais contaminer. Avec 74 printemps au compteur, je faisais partie des "personnes à risques". Autant prendre toutes les précautions pour éviter de croiser La Mort…

Aujourd'hui, cette mort d'un nouveau genre touchait tous les pays. Mondialisation oblige. Mais le pire, c’était les mioches : ils ne présentaient aucun symptômes. Ça me rappelait le nuage radioactif de Tchernobyl : les gosses contaminés diffusaient le virus sans que personne ne le sache. L'horreur dans toute sa modernité. Et preuve qu'un mal n'arrive jamais seul, la forêt russe était justement en flammes, libérant ses particules radioactives directement dans nos poumons. À l'époque, quand j'habitais encore en Franche Comté, les politiques français avaient lâchement menti. Tous les mêmes. Le nuage de Tchernobyl a bien traversé les frontières ! Le vivant et le radioactif n'ont pas de frontières ! Bande d'ignorants ! Enceinte de Benoît, mon petit dernier. On a morflé. Et pourtant, on se douchait toutes les heures, et on avalait des plaquettes entières d'iode. Ça n'a pas suffit.

Trente ans après, rien n'a changé : les gouvernements continuent à nous mentir. Une chauves-souris aurait vomi ce virus ? Foutaises !! On sait très bien qu'il a été fabriqué de toute pièce pour nous éliminer, nous, les petits vieux ! Ceux dont aucune société ne veut ! Les scientifiques de Wuhan ont été payés par les gouvernements du monde entier pour créer un virus à base de VIH, rougeole et palu ou je ne sais quoi… Contamination rapide, élevée, et mortalité choisie… "On n'arrête pas le progrès"… C'est clair ! C'est lui qui nous arrête !! Tous ces scientifiques, avec leurs inventions biotechnotrucs finiront par avoir notre peau ! Et tous ça grâce aux mules que sont les mioches !

Les gouvernements ont d'ailleurs tardé à fermer les écoles : s’approcher des enfants, qui sont devenus de véritables bombes à retardement, c'est risquer sa vie. Des parents préfèrent se jeter sous le métro plutôt que d’aller récupérer leurs gosses à l’école. Et prendre le risque de se faire contaminer par ces nouveaux terroristes de la santé physique et mentale.

Une simple toux, un éternuement, et souvent… rien : les jeunes, l'air de rien, contaminaient les vieux juste en leur parlant. Ou en leur serrant la main. En leur faisant un bisou sur la joue. Après avoir fourré leur sales doigts dans leur pif et mangé leurs crottes de nez ! Et quelques jours après, PAN ! T'es mort ! Raide. Après avoir dégueulé tes poumons sur le canapé de tante Gertrude.

Enfin, ça, c’était pour les chanceux. Parce qu'en général, tout commençait par une fièvre. De celles qui te font grelotter en plein été, et halluciner comme jamais. Les mamies comme moi qui ont connu les années hippies pendant lesquelles on trouvait à New York des trips à chaque coin de rues savent bien de quoi je parle. Ce genre de fièvre, comme celle qu’a eu Ginger avant de tomber dans le coma, ne vous plongeaient pas dans des paradis artificiels. Pas de fée Clochette, mais des visions complètement morbides de la réalité : des monstres visqueux dont on peut même sentir les chairs froides, putrides et nauséabondes, tentaient de projeter leurs tentacules dans les narines de ma belle fille, puis dans sa bouche, ses oreilles, et… et ses yeux révulsés, avant que les médecins ne m'expulsent de la chambre de réanimation, en disaient bien plus longs que de simples mots.

Bordel de merde. C'est la fin du monde. J’ai pas envie de croiser ces saloperies. Je veux vi… Le téléphone sonne… Bon… Encore cette école sans doute : je devais aller chercher les gosses à 16H30 et il est… 17h45. Putain, Benoit n'aurait pas pu faire autre chose qu'infirmier ? Moi, je ne suis qu'une petite vieille ! Je ne devrais pas m'occuper de ça… Imaginer mes trois petits-fils m'enlacer me fait froid dans le dos ! Mais bon, je n'ai pas le choix… Merde. Je dois y aller… Je lui ai promis… Quelle conne !

Stressée par la sonnerie stridente du téléphone, j'ouvre un scrub stérile et me frotte minutieusement les mains, comme les chirurgiens des os. Du sang suinte à la commissure de mes reliquats d'ongles jaunis. Rester propre… Se laver les mains, c'est la base !! Les virus ont envahi notre quotidien : nous sommes en guerre ! Heureusement que l'état a imposé un confinement ultra stricte, la seule solution pour arrêter la propagation de ces myriades d'envahisseurs ! Qu'est-ce qu'ils attendent pour mettre en place le couvre-feu ? Et déclarer la loi martiale ? De mon temps, les présidents avaient des couilles ! Tout ça, c'est fini.

Merde !! Il ne me reste plus que 3 bouteilles de gel hydro-alcoolique. Bon Dieu, ayez pitié de moi ! Mon heure n'est pas venue !… Bon… Je n'ai pas d'autres choix : au diable les gosses ! Ils peuvent bien attendre ! Si je veux avoir du gel jusqu'à la fin du confinement, je dois aller au… supermarché…

Ce n'est peut-être pas si risqué après tout : mon masque de chirurgien empêchera les miasmes de coloniser mes poumons, la visière limitera les éclaboussures d'éternuements, et ma combinaison de peinture fera le reste.

Il fait drôlement chaud là dedans. Au dessus du lavabo, le thermomètre affiche presque 40°C. Fin de journée ensoleillée. Foutu réchauffement climatique…

Après avoir longuement scruté la ruelle, et sué des litres dans ma combinaison, il est temps que je sorte : je n'ai vu personne passer depuis plus d'une heure : tous les microbes doivent être morts, grillés par le soleil salvateur. Merci mon Dieu ! Feu !

Je sors la tête. Respire bruyamment. Pose délicatement un pied isolé par une charlotte. Silence. Quelques oiseaux, tout au plus. Fini le brouhaha des avions à basse altitude, et tous ces migrants porteurs de germes. Je sors mon Caddie à roulettes : ils peuvent se les garder leurs paniers infestés de germes !

Le petit supermarché du centre ville, à deux cents mètres de chez moi, a des portes guillotine automatiques : personne ne les touche… Hygiène : 1. Corona : 0.
— Bonjour ! fait la caissière, derrière sa vitre. Je lui réponds par un signe de tête. Négatif. Mauvais jour, plutôt.

Bon. Grouille toi ma vielle ! Moins tu restes dans ce supermarché, moins tu te fais contaminer. Le rayon hygiène est désert, comme la plupart du supermar…

BORDEL ! Un des SDF qui fait la manche à l'entrée s'approche ! Qu'est-ce qu'il fout là ?? Il… Il est atteint : c'est sûr ! Ces déchets passent leur temps à picoler et à fumer de la drogue ! Je balance à la hâte cinq… non, dix bouteilles du gel salvateur dans mon Caddie, et m'élance de l'autre coté du rayon. MERDE ! Un petit vieux bloque le passage ! Il porte des gants et un masque : il est malade, c'est certain ! Comment ose-t-il sortir de chez lui ? Cet écervelé lit tranquillement les ingrédients d'une bouteille de gel, comme si de rien n'était, tout en baillant. Non… il ne va pas…
— AtchaaAAAA !! fit-il dans sa main. Il me regarde avec un petit sourire qui se fige en mou d'horreur en me dévisageant de la tête aux pieds. Son gant luit des miasmes fraîchement sortis de ses poumons infectés. Devant mon silence, il repose avec sa main contaminée la bouteille de gel.

Bon… bon Dieu non, suppliai-je en reculant. Quoi encore ? Mon dos vient de buter sur quelque chose de mou…
— Oh pardon ! s'excuse… le sale clochard. À cette distance, je pouvais discerner les moindres vaisseaux de ses yeux rougis par la drogue. Il pouvait bien avoir trente ou quarante ans, mais en paraissait cinquante, avec sa barbe et ses cheveux grisonnant hirsutes. Je fis un bond en arrière. Des effluves de cendrier froid parvenaient à mes narines. Mon Dieu… je suis en train de respirer le même air… Je le contournai doucement, en apnée, frottant le dos au rayon dont les articles se fracassaient au sol les uns après les autres. Des grosses gouttes de sueur glacées coulaient dans mon dos et mon torse, la buée brouillait ma vue, déformant le monstre pestilentiel qui se tenait courbé en face de moi, avec son sac en plastique rempli de… de bières sans aucun doute !

Vite, la caisse… Où est la… Ah ! La voilà ! Il y a trois personnes. Merde ! Je pourrais sortir tout de suite, mais ce serait dire adieu à mon gel hydro-alcoolique ! Et à… à… MERDE !! Nom de Dieu ! J'ai oublié le papier hygiénique ! Je courus à m'en faire péter mes varices : j'espère qu'ils en ont ! Au pire, il m'en reste pour une dizaine jours, mais on ne sait jamais : demain, il n'y en aura peut-être plus ! Je sens que je vais défaillir… Les… les rayons sont à moitié vides ! Merde !! Ah !? Tout au dessus ! Il en reste ! Oui, un paquet de douze rouleaux de triple épaisseur super-résistant ! Le seul qui ne se déchire pas !

Quelle idée de faire des rayons aussi haut ? Impotents !! Les petites vieilles comme moi n'ont donc plus accès au bonheur ? Je tends le bras de toutes mes forces… J'y suis presque ! Un petit bruit de tissu m'arrête dans ma course : l'aisselle de ma combinaison vient de rompre. Impossible. J'ai… une brèche dans ma protection… Je vais…
— Vous avez besoin d'aide ? fit une voix rauque dans mon dos

En me retournant, je fus prise d'un spasme. Le même SDF que tout à l'heure ! Il m'a… il m'a suivie. C'est pas possible… Qu'est-ce qu…
— Vous voulez que je vous l'attrape, ce paquet de PQ ? demanda-t-il nonchalamment, exhalant son haleine fétide. J'arrêtai aussitôt de respirer. Et c'est qu'il ne bougeait pas, le barbare !
— Éh bien, c'est que… J'avais la bouche sèche. J'avalais une poisseuse gorgée de salive gluante. Vous n'avez pas de gants, repris-je en le dévisageant de la tête aux pieds, alors je ne préf… Les mots ne voulaient plus sortir de ma gorge. Comment était-ce possible : comment avaient-ils pu laisser rentrer ce malpropre… sans chaussures ?? Dans un supermarché ? Qui vend des aliments… Et en période de pandémie mondiale en plus ! Derrière lui, ses pieds nus ont laissé des empreintes d'orteils, des gouttelettes de miasmes contaminants.
— NON ! criai-je, en sautant dans un ultime effort vers le paquet de triple épaisseur. Je… je l'ai… C'est bon… dis-je, le souffle coupé par le papier toilette que j'étranglais contre ma poitrine. J'y vais ! lançai-je en me carapatant sans lui laisser le temps de se rapprocher ou de me répondre.

À la caisse, une seule personne attendait : une jeune femme au téléphone.
— ouais, j'ai pris du rhum, arrête de me saouler avec ça ! De toute façon, ton anniversaire, c'est mort hein ! On n'a plus le droit de voir personne, là, t'as pas saisis ? En plus les voisins là… ouais, les vieux, ils seraient bien capables de te dénoncer ! Hein ? cria-t-elle, avant d'ajouter d'une voix basse. Comment ça tu t'en branles ?… T'es complètement fou ou quoi ?? Bon on en reparle à la maison ! dit-elle en raccrochant. Elle me regarda d'un air surpris, puis afficha un sourire forcé, et paya ses bananes bio sans aucune protection plastique contre la coronavirose.
— Bonjour ! dit la vendeuse derrière sa vitre. Une jeune maghrébine que je ne connaissais pas.
— Bon… bonjour, répondis-je en lui montrant un seul gel pour qu'elle le bipe à distance. J'en ai pris dix. Tous les mêmes.
— Ah oui ? Je dois les compter et vérifier madame… Laissez-moi regarder dans votre…
— mais… vous ne me faites pas confiance ? Où est Sarah ? la… la vendeuse habituelle ?
— en arrêt ! Elle avait… hum ! Mal au ventre… Pouvez-vous les mettre sur le tapis roulant ?
— mon Dieu, mais… vous allez me les contaminer avec votre…
— Bonjour Monsieur ! lança-t-elle derrière moi. Restez à un mètre monsieur s'il vous plait. Merde !! Le clochard ! Il est rev…
— Atchaaa ! Euh, pardon, le rhume des foins, dit-il après avoir éternué… par terre ! Merde merde merde : il y a des miasmes partout dans l'air environnant. Je vais mourrir…

La vendeuse s'approche de mon caddie et y fourre ses sales pattes en tripotant chacun de mes gels. C'est foutu, je vais devoir tout désinfecter… Mon Dieu, partir au plus vite ! Elle bipe le papier hygiénique. Me donne le montant…
— Qu… Combien ? redemandai-je en fouillant désespérément la poche de mon Caddie… En cherchant autour de moi, je vis les policiers à la sortie du supermarché, en train de vérifier l'attestation d'un SDF. La mienne, était restée sur ma table basse. Avec mon porte monnaie. Mon Dieu !! Tout ça pour rien ! J'ai… Ils vont me… me prendre pour une voleuse… Me fouiller et me contaminer…

Utiliser cette image ? › Contactez-moi

up